« Ce sont les règles du jeu entre les hommes qui ne marchent plus. Il n’y pas d’autorité commune à tous les hommes. Les affaires du monde sont réglées par des négociations entre les chefs des 193 nations indépendantes qui existent sur la planète. Non seulement elles sont de force extrêmement inégale entre elles, mais en plus ce sont les grandes banques et les grandes entreprises qui imposent leurs décisions, et comme il n’y a pas assez de règles, et guère de moyens de les faire respecter, le monde est en chaos. Vous avez bien raison de vouloir améliorer les choses.
Vous aurez du mal : non seulement vous êtes encore petits, mais les adultes d’aujourd’hui n’y peuvent pas grand-chose non plus. Car le problème essentiel, à savoir quelles seraient les nouvelles et meilleures règles connues, n’a toujours pas de solution convaincante.
Dans ces conditions, le problème pour vous est en première urgence de vous préparer à comprendre. »
— Lui, il nous explique. Il ne nous dit pas qu’on est trop petits pour comprendre ! approuve Stella.
— Et vous comprenez ?
— Ben oui. Il dit que c’est encore pire que dans la cour.
— Pourquoi ?
— Parce que dans la cour il y a des règles, et des maîtres pour surveiller.
— C’est vrai… Je vous lis la suite :
« Votre deuxième question, pourquoi rester optimiste, est plus difficile. Les nouvelles sont en effet toujours mauvaises. Mais d’abord, la jeunesse a toujours la mission d’améliorer le monde qu’elle a reçu. Vous aurez votre chance. Vous avez la force pour bousculer. Encore faudra-t‑il que cette force soit compétente. En plus, on sait toujours mieux prévoir les dépenses que les recettes, les catastrophes que les dons du Ciel. Nous sommes terrifiés de comprendre que l’humanité va devoir changer de comportement, notamment en matière de consommation d’énergie. Mais c’est sûr que l’humanité y arrivera, même si nous ne savons pas encore comment.
L’essentiel est de rester inventif. À vous de jouer. Bonne chance. »
— C’est drôle, constate Léopoldine. On dirait qu’il ne sait pas comment on va faire. Il dit juste qu’on va y arriver.
— Mais eux, ils y arrivent pas, et nous, quand on sera grands, on sera pareils, s’inquiète Amadou.
On dirait Mafalda intimant à ses amis : « Ne devenez jamais comme plus tard ! » dans un génial dessin de Quino.
— En plus, les adultes ne sont pas d’accord entre eux, observe Léa. Le scientifique (Hubert Reeves) nous dit de faire comme le colibri, l’écrivain (JC Mourlevat) d’attendre, et le ministre de travailler à l’école…
— Et que ce sera difficile…
— Comment ça se fait, maître, que les adultes ne disent pas tous la même chose ? demande Quentin, soucieux.
— Ben, c’est parce qu’ils savent pas, répond Mamadou à ma place, avec un sourire et un haussement d’épaules. En voici un que l’ignorance des adultes ne semble pas inquiéter. Du moins tant que la cantine fonctionne.
Mais ce constat dérange les autres. Je tente un retour à notre emploi du temps.
— Retenez ce conseil : apprendre et comprendre pour améliorer nos chances. Essayez de vous en souvenir. Par exemple, tout de suite, en maths ! Si vous voulez bien sortir vos cahiers…

Extrait de Dans la classe, une année à l'école primaire, Éditions des Équateurs