Non seulement les jeunes colibris purent goûter la tarte ainsi réinventée au cours d’une grande Fête des pommes, mais Alain Passard nous convia dans son extraordinaire domaine du Gros Chesnay, dans la Sarthe, pour visiter le jardin d’où proviennent les fruits et légumes grand cru servis dans le beau restaurant trois étoiles de la rue de Varennes: quatre hectares de nature aménagée, sans engrais chimiques ni insecticides, où sont cultivées plus de quatre cents variétés végétales.

Ce premier extrait raconte notre visite dans le jardin d’Alain Passard.

Il a plu et les nuages ne sont pas loin. Quand nous descendons du car, les bottes s’enfoncent dans un sol meuble. Petit vent frais. Chants d’oiseaux. Les odeurs de terre et d’herbe mouillée nous sont exotiques. « Ça sent trop bon ! » À Paris, la pluie sent la poussière.

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Après l’épisode des bêtes à cornes que l’on pis ou que l’on truie, je me doutais que les découvertes seraient nombreuses. J’étais pourtant loin d’imaginer les tours de magie de Sylvain le jardinier, immédiatement intronisé Grand Maître par les élèves. Il se promène sur la terre humide avec ses grandes bottes noires, se baisse et fait jaillir du sol des betteraves blanches, des navets violets, des carottes de toutes les couleurs, des grappes de pommes de terre dorées qui frétillent joyeusement au bout de son bras comme des poissons au bout d’une ligne. Les élèves sont émerveillés et applaudissent comme s’il sortait des lapins d’un chapeau. C’est encore mieux. Il n’y a pas de truc.
— C’est quoi ?
— Raphanus sativus. Très facile à faire pousser, même en pot.
— … ?
— Un radis, voyons. Tu ne reconnais pas ?
Sylvain nous explique que nous sommes dans un écosystème.
Son premier travail a été d’attirer les plantes et les animaux qui le constituent et de leur proposer des abris. Ainsi, les haies bocagères, en plus de protéger les cultures, hébergent nombre de passereaux et de mésanges qui, se nourrissant d’insectes, permettent de se passer d’insecticides.
Il en est là de ses explications lorsque Aminata cueille une magnifique pivoine qu’elle projette d’offrir à sa maman.
Sylvain la voit. Son visage se ferme.
— Ça, ça m’énerve, dit-il sans élever la voix.
Cette colère froide impressionne les élèves.
— Cette fleur que tu as cueillie, maintenant, elle va mourir. Si je l’avais installée là, c’est parce que les insectes qu’elle attire sont de bons pollinisateurs. Attention. Si j’en vois qui recommencent, on va être obligé d’arrêter.
Puis il retrouve sa bonne humeur et reprend la visite comme s’il avait oublié l’incident. J’entends Aminata en tirer sa propre morale pour Divina. Elle sait bien que dans un jardin, il ne faut pas cueillir les fleurs. Mais « dans le jardin de Sylvain, il ne faut pas cueillir les fleurs en vrai ».
— En plus des oiseaux et des insectes, nous avons des mammifères, des batraciens, des reptiles… Vous connaissez les orvets ? Sylvain soulève une pierre. Ils apparaissent. Le jardinier précise :
— C’est une variété de lézard qui a perdu ses pattes.
Étonnement des élèves. Inquiétude d’Amadou :
— Nous aussi, si on perd nos pattes, on peut devenir des serpents ?

Second extrait

Dans le car du retour les répliques fusent.
— Maître, tu savais que les pommes de terre poussent dans la terre ?
— Tu as vu les betteraves roses et blanches ?
— Et les jaunes ?
— Sylvain était trop gentil.
— Très gentil, Amadou. Trop gentil, ça voudrait dire qu’il aurait dû l’être moins.
— Si c’était quelqu’un d’autre, ça n’aurait pas été aussi bien.
— Maître, je suis trop féru de nature !
— On pourra revenir ?
Amadou, remis de ses émotions, voudrait savoir :
— Comment on peut devenir jardinier ?
Dans ma lettre à Alain Passard, j’écrivais : « J’aimerais que vous ouvriez devant eux deux ou trois fenêtres sur la terre qui nous héberge et que nous partageons. »
Mission accomplie.

(Extraits de Dans la Classe )